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Il n’y a plus l’homme et la femme

Communio, XVIII, 2, 1993, p. 35-45.

Résumé

Correctement comprise, la célèbre déclaration de la Lettre aux Galates ne veut nullement énoncer le « dépassement » de la différence homme-femme. Saint Paul y annonce bien plutôt la sortie de la logique du péché où l’homme et la femme sont dans une relation de concurrence, de domination et de séduction. Loin de supprimer leur altérité, le salut apporté par le Christ rend l’homme et la femme à leur identité et leur vocation premières : il y a enfin l’homme et la femme.

Article

DANS les débats contemporains relatifs à la place et à la vocation de la femme, tout comme dans les travaux exégétiques qui s’y rapportent, les textes pauliniens sont fréquemment tenus pour une écharde plantée dans les Écritures [[Cette thèse est présentée de façon développée par L. AYNARD, La Bible au féminin, Paris, éd. du Cerf, 1990, en particulier chapitre II de la IIIe partie.]]. Que faire aujourd’hui de déclarations qui appellent les femmes à la soumission ou qui les exhortent à une discrétion qui sert trop bien les intérêts de pouvoirs abusifs pour ne pas être suspecte ? D’où le recours systématique à l’argument culturel : Paul, parlant de la femme dans le chapitre II de la première Lettre aux Corinthiens ou du mariage dans le chapitre 5 de celle aux Éphésiens, se montrerait simplement homme de son temps, héritier de représentations rabbiniques et grecques massivement défavorables aux femmes, réagissant aux problèmes qui lui sont soumis en ce domaine à partir des conventions de son milieu. D’où il suit que rien n’obligerait évidemment aujourd’hui à tenir pour parole d’autorité des propositions ainsi marquées par la contingence culturelle et par le préjugé. On ajoute éventuellement qu’un texte échappe à cette logique. C’est celui de la Lettre aux Galates où Paul déclare : «… Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme.» « Coup de tonnerre dans le ciel du monde antique » déclare à propos de cette phrase un commentaire récent [[Ibid., p. 211]]. qui y lit l’affirmation de l’égalité parfaite entre l’homme et la femme, tout en ajoutant qu’il s’agit là, de (p.35) toute façon, d’un texte d’exception dans le corpus paulinien, puisqu’il consent à dénoncer des clivages sociaux injustes, dont Paul s’accommode en revanche ailleurs. Pourtant, lue en ce sens, parée de toute la générosité dont on la crédite, la phrase de la Lettre aux Galates peut laisser perplexe. Il ne suffit pas de déclarer dans une épître que l’esclave ne l’est plus. Ni d’annuler verbalement la différence entre l’homme et la femme. On sait même combien la dénégation est un procédé dangereux. Abrité derrière l’idée qu’il n’y a plus ni Juif, ni Grec, on peut surmonter tout à loisir l’antagonisme… en supprimant simplement l’un des deux termes, manière sommaire, mais attestée dans l’histoire de la relation entre les chrétiens et Israël. De même, déclarer qu’il n’y a ni homme ni femme peut constituer une subtile et efficace manière de déposséder chacun en éliminant l’altérité à partir de laquelle se construisent les identités. Ruse ultime d’une longue histoire qui ne rétablit nulle justice, même si saint Paul, lu dans cette perspective, se retrouve aux côtés du féminisme contemporain déclarant, selon une formule désormais célèbre, que « l’un est l’autre ». La question rebondit donc à propos de cette déclaration qui semblerait pourtant a priori moins problématique que celles qui, dans les Épîtres, concernent le mariage et la virginité ou le «voile des femmes». Mais que dit au juste Paul? Et surtout, au sein de quelle logique cette phrase se situe-t-elle qui lui donne son sens et sa véritable portée ? Question préliminaire et décisive, si l’on ne veut pas simplement lire pour étayer une thèse personnelle, manipuler des mots pour servir une cause particulière, mais entendre la nouveauté chrétienne dont Paul se veut le serviteur. Car, contrairement à un préjugé qui cette fois menace le lecteur, rien ne dit que, parce qu’il parle de la femme, Paul doive inéluctablement être privé de la clairvoyance spirituelle qu’on lui reconnaît ailleurs. Rien, non plus, ne prouve que, rencontrant des traditions, voire des préjugés culturels, il ne puisse les considérer aussi en chrétien, montrant le chemin qui permet de les vivre selon le Christ, avec liberté, pour l’édification et la croissance des communautés chrétiennes. Paul lecteur de la Genèse Pour commencer à entrer dans la logique que suppose la déclaration de Paul aux Galates, une première remarque est nécessaire. Elle a la forme d’une objection, celle que le contexte scripturaire vient opposer précisément à l’interprétation qui voudrait que, disant : « Il n’y a plus (p.36)…