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Femmes dans une ecclésiologie intégrale. Surmonter l’invisibilité des femmes
Transversalités, Revue de l’ICP, n° 133, avril-juin 2015, p. 97-116.
Résumé
La constitution Lumen Gentium du concile Vatican II envisage, entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, une différence d’essence, et non seulement de degré (LG 10), et offre ainsi une possibilité de penser de manière renouvelée la place des femmes dans la vie de l’Église, non pas seulement en fonction des responsabilités qu’elles pourraient y exercer, mais avant tout, en fonction d’une compréhension renouvelée de son mystère. En effet, la formulation de Lumen Gentium permet de dépasser une vision simplement hiérarchique de la relation entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel. Si le sacerdoce ministériel renvoie l’Église au sacerdoce du Christ dont elle procède, il se trouve lui-même placé, à ce titre, au service du sacerdoce commun – ou « existentiel » – des fidèles. La notion de sacerdoce des fidèles constitue ainsi une clef de compréhension de la mission de tous les baptisés – femmes et hommes : à l’exemple du Christ, leur mission primordiale consiste à servir l’autre, dans la réalité incarnée du quotidien.
Plan de l’article
Femmes dans l’Eglise aujourd’hui
Sur quelques modalités de « l’invisibilité des femmes » dans le Premier Testament
Des Evangiles et de Jésus Des femmes et du sacerdoce
Du sacerdoce ministériel connu à partir du sacerdoce baptismal
Les femmes dans l’Eglise, visibilité du sacerdoce baptismal
Article complet
La vie des femmes est aujourd’hui partout présente dans l’actualité du monde. Les médias évoquent en continu les manières inédites dont elles prennent part aux événements qui bousculent les sociétés, là même où des structures patriarcales continuent à peser sur leur quotidien. Depuis son passage à la tribune de l’ONU, le monde entier connaît le combat de Malala, jeune pakistanaise engagée au prix de sa vie contre l’obscurantisme et le fanatisme. La chape de silence couvrant les innombrables violences faites aux femmes, du viol de guerre à l’eugénisme qui empêche les filles de naître, commence à être ébranlée. Il se sait un peu mieux qu’il existe une corrélation entre la promotion des femmes, la maîtrise de la fécondité, leur accès au savoir et à l’éducation, et le progrès d’ensemble d’une société, l’arrachement à la pauvreté et l’accès à une vie globalement meilleure [1][1] Voir en ce sens la déclaration du secrétaire d’Etat…. Tout cela est déjà une bonne nouvelle, même s’il y a loin de l’émergence d’une conscience jusque-là étouffée à l’accès effectif à un ordre plus juste, institutionnellement confirmé et garanti. En langage chrétien, on parlera d’un « signe des temps » [2][2] Cf. Jean XXIII, Pacem in terris, § 41 faisant de la…. L’Eglise est évidemment concernée par cette réalité de multiples manières. Incontestablement, par le fait qu’elle est à la man œuvre, souvent silencieusement, pour promouvoir le respect des femmes dans des sociétés où celles-ci comptent pour rien. Le cardinal Maradiaga évoque ainsi le combat patient et opiniâtre qui fut le sien dans les campagnes du Honduras [3][3] Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, De la difficulté…. Mais l’Eglise est aussi rejointe ad intra par les évolutions actuelles. En témoigne la manière dont le pape François a abordé le sujet très vite après son élection, en dénonçant avec une belle franchise les lieux communs d’une féminité rabattue sur la maternité ou encore les ambiguïtés d’un « service », spécialité prétendue des femmes, si souvent perverti en simple servitude [4][4] Discours pour les 25 ans de la Lettre apostolique Mulieris…. Du même mouvement, il a évoqué l’urgence pour l’Eglise d’une réflexion de fond. « Il faut ouvrir un chantier », a-t-il dit [5][5] Cf. les propos aux journalistes lors du voyage de retour… de manière surprenante, comme si la tâche était inaugurale, alors même que depuis plusieurs décennies le discours du magistère de l’Eglise catholique témoigne d’une attention aux femmes qui s’est déclarée à de multiples reprises [6][6] On ne rappellera pas ici l’abondant corpus bien connu…. Mais, de fait, comment nier que la question reste programmatique ? A l’évidence, nous sommes là sur un point où se condensent méfiances, peurs, résistances, peu accessibles aux raisons de la raison, fût-elle théologique. Qui a remarqué ce détail minuscule, piquant, mais éloquent, du texte de la Commission biblique L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, publié cinq ans après Mulieris dignitatem : le document y fait droit à l’existence de « lectures féministes » jusque-là ignorées, mais une note précise – la seule de tout le texte – que ce paragraphe a été l’objet de débats qui ont dû être tranchés par un vote [7][7] Commission biblique pontificale, L’interprétation de……
2 Les pages qui suivent commenceront par rappeler le niveau de profondeur anthropologique et théologique auquel confronte le sujet. En conséquence de quoi on verra que la réflexion doit s’ouvrir aujourd’hui à une problématique radicale, dont l’enjeu n’est rien de moins qu’une véritable conversion évangélique permettant à la relation homme-femme de trouver sa justesse, non seulement au bénéfice des femmes, mais de la vie de l’Eglise entière. C’est dire qu’il s’agira d’éprouver, en particulier, comment un questionnement sur la vie chrétienne vécue au féminin invite à reconsidérer, selon toute son ampleur, la réalité du sacerdoce baptismal dans sa relation au sacerdoce ministériel, et cela bien au-delà du seul débat disciplinaire. Femmes dans l’Eglise aujourd’hui
3 Convenons d’abord que ce serait s’enfermer dans une posture de contestation stérile que de faire l’impasse sur ce qui a pu surgir de nouveauté depuis Vatican II dans les pratiques de l’Eglise catholique. On peut en minimiser la portée en n’y voyant que le retentissement forcé de réalités socioculturelles. On peut faire l’inventaire de ce que les textes magistériels continuent à charrier de réflexes androcentriques [8][8] Cf. Joseph Famerée, Marie-Elisabeth Henneau, Elisabeth…. On peut sans aucun doute estimer les changements trop lents, encore essentiellement marginaux. Il n’empêche que des dispositions inconcevables il n’y a pas si longtemps pénètrent aujourd’hui la vie ecclésiale. Ainsi l’appel de Christifideles laïci (1988) à ce que des femmes entrent dans les conseils pastoraux diocésains et paroissiaux, ou œuvrent dans les synodes diocésains, n’est pas resté lettre morte [9][9] Christifideles laïci, Exhortation apostolique post-synodale…. Des fonctions traditionnellement et structurellement réservées aux hommes, sinon aux prêtres, se voient aussi investies de présence féminine. L’accompagnement spirituel est de plus en plus fréquemment délégué à des chrétiennes chargées d’aumôneries en des lieux – hôpitaux ou prisons – aux prises avec les questions radicales de la vie en expérience de souffrance, d’échec, ou à l’horizon de la mort. Le fait d’y être en charge du témoignage de la miséricorde du Christ sans avoir accès aux gestes sacramentels qui donnent la plénitude de cette miséricorde, fait souvent problème aux intéressées, mais pose par là même des questions sur lasacramentalité dont il serait bon de se saisir. La pratique universitaire de la théologie ou de l’exégèse s’est également ouverte aux femmes, non seulement à titre d’enseignées accédant aux diplômes qualifiants, mais aussi comme enseignantes. Il n’est certainement pas indifférent, à terme, que des séminaristes, des prêtres, des religieux soient formés aux savoirs de la foi et à leurs futures responsabilités par des femmes qui en reçoivent mandat et autorité [10][10] Cf. Marie-Jo Thiel, « Femmes dans l’Eglise du Christ »,…. Ailleurs encore, des chrétiennes, consacrées ou même laïques, sont requises pour prêcher des retraites à des communautés religieuses, masculines ou féminines, parfois à des assistances d’évêques.
4 Ces avancées, prolongées aujourd’hui par des perspectives plus audacieuses encore (la présidence de conseils pontificaux pourraient être assurée par des femmes [11][11] Déclaration de Mgr Gerhard Müller à l’agence CIC à…), doivent être saluées avec confiance. Cependant, elles ne peuvent faire oublier que, dans le quotidien de la vie ecclésiale, domine chez une majorité de chrétiennes l’expérience taraudante et douloureuse d’une incapacité de l’Eglise catholique à accéder à une véritable estime de ce qu’elles sont et de ce qu’elles vivent [12][12] En ce sens, l’analyse sans concession du père J. Moingt…. L’on ne parle pas simplement ici d’une quête de reconnaissance pour services rendus ou même de promotion, mais bien de ce qui est éprouvé comme une difficulté originelle à gérer l’articulation du masculin et du féminin. Un symptôme étant la manière invétérée de confiner les femmes dans des tâches d’intendance ou de gestion, où une autorité masculine, en l’occurrence sacerdotale, sous-traite des responsabilités, quitte à faire hommage à des stéréotypes de qualités dites féminines, qui jouent avec ambiguïté des vertus du service. Les débats ouverts naguère à propos des servantes d’autel ne mériteraient pas plus d’attention, s’ils ne révélaient une manière d’investir la différence sexuelle d’un enjeu de sacralité très équivoque, qui aboutit à faire jouer aux filles un rôle de service communautaire péniblement caricatural. Enfin et surtout, nul n’ignore la difficulté que constitue une morale conjugale et sexuelle perçue par les femmes comme un abus d’autorité, dès lors que sont pensées et décidées au masculin des questions engageant la rencontre de l’un et l’autre sexe dans le plus intime d’une expérience différenciée de la chair et de la relation à l’autre. S’il est vrai que se jouent là des réalités-tests de nos sociétés en mal de réponses autres qu’une gestion contraceptive banalisée, comment ne pas être impatient d’une sagesse ecclésiale élaborée à plusieurs voix, hommes et femmes, pour un discours de vérité qui soit audible et recevable ?
5 Dans ces conditions, on peut craindre que le souci qui s’exprime aujourd’hui de distribuer plus justement charges, responsabilités, exercice de l’autorité, tout en étant légitime et nécessaire, n’épuise pas les problèmes à traiter. On sait que, dans la société civile même, une politique volontariste comme l’imposition de la parité, n’est que partiellement efficace. Le pape François lui-même déclare insuffisante la seule promotion fonctionnelle des femmes dans l’Eglise [13][13] Entretien avec le pape François publié par le Corriere…. Si des chrétiennes engagées dans la mission vivent aujourd’hui la douleur d’une méconnaissance humiliante, c’est que le problème institutionnel s’inscrit dans une plus vaste réalité, celle d’une invisibilité structurelle de leur présence et de leur agir. Invisibilité anthropologiquement fondée, et théologiquement redoublée. Et manifestement au-delà de l’espace judéo-chrétien, comme cela s’est attesté dans les rencontres inter-religieuses d’Assise : au lieu même où se déclarait solennellement la responsabilité partagée des religions pour la paix, s’avouait en creux – mais qui s’en est soucié ? – la difficulté également partagée à y inscrire la contribution des femmes [14][14] On se rappellera que le message du pape Jean-Paul II…. Symptôme peut-être d’un immémorial, que seul le langage du mythe pourrait être apte à signifier, comme lorsque la Genèse conjoint à propos du « homme-femme » la double affirmation d’un « très bon » originel et d’un brouillage où s’obscurcit la perception mutuelle [15][15] Ce brouillage est précisément décrit comme « oubli »…. De fait, par-delà les figures féminines fantasmées qui remplissent les imaginaires de l’humanité, il est une difficulté essentielle à la reconnaissance des femmes réelles, dont la forme extrême est celle de leur effacement. On ne s’étonnera donc pas que les Ecritures bibliques soient concernées par ce problème, ni que celui-ci hante le subconscient chrétien, et donc la théologie, à l’endroit même où il lui faut penser ce que vient toucher et guérir le salut accueilli dans le Christ. Sachant selon la formule de Dei Verbum que « l’Ecriture est âme de la théologie » et des représentations qui l’accompagnent, on commencera précisément par quelques remarques concernant le donné scripturaire vétéro- et néo-testamentaire qui nous paraissent partie prenante du « chantier » évoqué plus haut, et qui seront le préalable au questionnement théologique qui suivra. Sur quelques modalités de « l’invisibilité des femmes » dans le Premier Testament
6 Sans ignorer que les Ecritures construisent un rapport au féminin suffisamment complexe pour que misogynie et honneur des femmes puissent également s’en réclamer, il est salubre de reconnaître les effets d’effacement ou, du moins, d’obscurcissement du féminin, qu’elles comportent. Plusieurs modalités discursives sont ici concernées.
7 Une première concerne la logique de pseudo-inclusivité fondée sur ce fait de langue qui veut que les formes du masculin aient aussi valeur de générique, en neutralisant la différence des sexes. Comment éviter en effet que ce qui est nommé explicitement – le masculin – n’absorbe le féminin qu’il est censé signifier implicitement, confortant ainsi silencieusement la réalité d’un féminin secondarisé, relativisé ? Le fait que les femmes soient présentes au texte biblique majoritairement en troisième personne, donc soient parlées avant que de parler, prouve que le péril est loin d’être illusoire. Que le tu ou le vous, qui portent en hébreu la marque du masculin, impliquent effectivement le destinataire féminin doit donc être objet de vérification, l’embrayage supposé se révélant parfois bien problématique, même en des points névralgiques de la révélation biblique. Ainsi, par exemple, du récit de la théophanie du Sinaï en Ex 19-20. Moïse invite à s’y préparer en se tenant « éloigné de la femme » (Ex 19,15), par risque d’impureté évidemment, rendant perceptible le fait que la communauté d’Israël tend à s’identifier ici aux hommes qui la composent [16][16] Voir l’étude de Naomi Steinberg dans Methods for Exodus,…. De même, dans la foulée, de l’énoncé des commandements. Ils valent certes pour tout membre du peuple. Mais la formulation du dernier, où la femme figure dans la liste des biens quel’homme ne devra pas convoiter (Ex 20,17), montre que la part féminine du groupe destinataire n’est rejointe ici qu’obliquement, à travers une parole destinée aux hommes. Il serait certes naïf de s’étonner que ces textes incorporent les schémas patriarcaux organisateurs des cultures dont ils émanent. Mais on ne peut négliger d’interroger les effets identificatoires et théologiques qui en découlent. De même, dès lors que la circoncision est le signe privilégié d’appartenance à l’alliance, sur quel mode spécifique les femmes ont-elles part à cette dernière ? Et que signifie, pour l’alliance elle-même, la manière féminine de la vivre ? On notera que le Nouveau Testament est touché par le problème, lorsque dans les récits de multiplication des pains, le décompte de l’assistance se fait « sans compter les femmes et les enfants » (Mt 14,21 ; 15,38) [17][17] Sur la lecture de ce texte voir Sheila E. McGinn, « Not…. En l’occurrence, cette formule provocante a pour vertu d’accuser le contraste avec la finale de l’évangile qui restitue une forte présence féminine, depuis la scène de Béthanie jusqu’au matin de la Résurrection, où les femmes sont les premières à rencontrer et à annoncer le Ressuscité. Mais seul qui se sera étonné vraiment de leur précédente invisibilité mesurera alors le poids de leur présence.
8 Une autre donnée discursive problématise le rapport au féminin. Elle concerne l’usage de la métaphore dans la parole prophétique, lorsque la révélation se formule en termes d’alliance appuyée à l’expérience anthropologique du couple. Décisive pour introduire au dépassement du dieu de la métaphysique et pour révéler le Dieu qui aime d’amour et s’engage dans les vicissitudes de la relation à l’autre, cette thématique n’est cependant pas exempte de périls touchant la représentation du féminin [18][18] Pour une réflexion sur les périls de la métaphorisation,…. L’appariement, terme à terme, des couples Dieu-Israël et homme-femme ne peut manquer d’accréditer subrepticement une affinité du masculin et du divin, confortant le premier dans des privilèges de pouvoir, alors que la métaphorisation féminine du peuple ancre le féminin dans un registre d’humanité faillible, d’autant plus sûrement que l’histoire de l’alliance inclut beaucoup d’infidélité. Avant que ne soit désignée Sion-Jérusalem, radieuse de sainteté, c’est la figure d’une femme adultère et d’une prostituée – métaphore où le peuple est appelé à reconnaître son péché – qui domine dans des oracles de jugement chargés d’une violence qui semble directement démarquée des plus sombres discours machistes [19][19] Anne-Marie Pelletier, « La révélation au risque d’éros »,…. On peut se demander dans quelle mesure les hommes (mâles), qui font partie des destinataires d’Osée ou d’Ezéchiel, ont consenti à se reconnaitre dans cette figure féminine de péché, alors même que l’adultère masculin n’existe, dans le droit du temps, que s’il y a usurpation d’un bien d’autrui, c’est-à-dire si la femme est mariée. Les constats découragés des prophètes font douter des effets de la métaphore. En revanche, tout laisse penser que s’est forgée à travers celle-ci une redoutable identité de la femme, déclarée d’origine faible, infidèle et dévoyée. Certes, un livre, le Cantique des cantiques, tire la vision en sens inverse. Mais, quels que soient les trésors mystiques issus de sa fréquentation, on doit admettre que l’allégorie, de nouveau, aura maintenu la distance avec les femmes réelles, en décrochant durablement ses mots de tout réalisme sensible. Tout comme il en va de l’ecclésiologie issue de son commentaire : sa manière de magnifier la féminité de l’Eglise ne trouve sa vérité et sa fécondité que pour autant qu’elle n’est pas confinée à une proposition abstraite. Péril toujours un peu menaçant et qui guette également la mariologie, quand l’humanité de Marie disparaît dans une sublimation qui proportionne l’honneur qui lui est rendu à la distance qui la séparerait de ses sœurs en humanité. A cet égard, l’interprétation qui fait de la Vierge Marie l’anti-type idéal d’Eve vue comme femme générique, ne va pas sans conséquences onéreuses, malgré ses titres de tradition [20][20] On n’oubliera pas que cette interprétation probablement…. Sans compter que lorsque l’on propose Marie de façon privilégiée à l’imitation des femmes, on masque le fait que c’est tout chrétien qui doit trouver en elle l’icône de la sainteté à laquelle il est appelé.
9 Par-là se rejoint une autre manière encore d’esquiver la rencontre des femmes réelles dans l’existence concrète de la chair et du temps, donc dans la condition humaine avec ses faiblesses et ses obscurités. On pointe ici un discours du sublime qui, au prétexte de rendre hommage aux femmes, éloigne paradoxalement de ce que serait une vraie reconnaissance. L’usage ecclésial du thème de « l’éternel féminin » n’est pas à l’abri de ce danger. Tout comme le discours qui prétend accorder aux femmes plus qu’aux hommes, en leur prêtant une affinité native et élective avec le spirituel. Le péril est subtil car, de fait, les Evangiles témoignent d’une aisance, d’une liberté, d’une capacité féminines à affronter le scandale de la Passion, expliquant peut-être qu’elles aient été « les premières à voir Jésus ressuscité, car elles ont été les dernières à l’abandonner mort » [21][21] Cf. Raniero Cantalamessa, Prédication du Vendredi-Saint,…. Mais les femmes restent bien partenaires des hommes, quand il s’agit d’entrer dans la foi à l’inconcevable, d’affronter le doute et de participer à la mission. Effacer cette condition partagée, c’est construire une relation fictive qui laisse entiers, quand elle ne les masque pas, les problèmes de coexistence et de collaboration dans l’Eglise.
10 Telles sont donc quelques-unes des chicanes, sur le trajet de la rencontre des hommes et des femmes, qu’un questionnement sensible aux problèmes contemporains permet d’identifier dans les Ecritures et, partant, dans les discours ecclésiaux. Mais le constat s’arrêterait à mi-chemin si l’on oubliait que dans le même temps cette problématique éclaire non moins, dans les deux Testaments, une présence du féminin insoupçonnée jusqu’à ce jour. En continu, l’histoire biblique et l’accomplissement des Ecritures incorporent à l’agir des hommes celui de femmes, dont le rôle n’est pas moins déterminant, depuis la matriarche Sarah jusqu’à Marie de Nazareth, Mère de Jésus, Mère de Dieu, en passant par les rusées accoucheuses qui, au début de l’Exode, se jouent des projets meurtriers de l’Egypte et sauvent le futur sauveur d’Israël [22][22] La littérature est aujourd’hui immense. Mentionnons…. Cette histoire doit naturellement figurer au programme du « chantier » évoqué plus haut, en commençant par les Evangiles. Des Evangiles et de Jésus
11 Le fait est que Jésus voit les femmes et invite à les voir, comme y insistent des lectures contemporaines des Evangiles [23][23] Ainsi entre autres, Les anonymes de la Bible, Cahier…. La veuve, perdue dans la foule, qui dépose son obole au trésor du Temple, n’a rien pour attirer l’attention. A l’inverse des postures ostentatoires des scribes que Jésus vient de dénoncer, son geste est destiné à Dieu seul. Pourtant Jésus la voit et par elle enseigne ses disciples en révélant le cœur profond, au-delà de ce qui se voit (« elle, de son indigence, a donné tout ce qu’elle avait »). Ce dont elle ne saura rien, alors même que, à proximité de sa Passion, Jésus aura peut-être reçu d’elle l’expression proleptique du don que lui-même va faire de sa vie. En Luc, une autre femme instruit le lecteur de la qualité du regard de Jésus. Chez Simon le pharisien (Lc 7, 36-50), une anonyme encore, mais désignée comme pécheresse, baigne les pieds de Jésus de ses larmes et de parfum. Jésus fait de l’épisode l’occasion d’une conversion du regard de son hôte : son « tu vois cette femme » adressé au pharisien vaut comme constat qu’il ne voit précisément pas, puisqu’il ne voit qu’une prostituée qu’il condamne. Il faut le reproche de Jésus, doublé d’une petite parabole interprétant les gestes audacieux de la femme, pour qu’advienne la vérité, celle d’un cœur qui aime assez pour éprouver toute la mesure de la générosité du pardon de Dieu. La scène de l’onction à Béthanie en Mt et en Mc manifeste à son tour l’obscurité du regard des témoins, que Jésus dénonce : le parfum versé sur son corps, leur enseigne-t-il, n’est pas gaspillage, mais onction qui anticipe la réalité de sa mort prochaine. De là cette étonnante promesse d’une mémoire qui n’a d’égale que celle dont parle Luc à propos du geste eucharistique de la Cène (« Partout où sera proclamé cet évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle a fait », Mt 26,13). Quant au récit de la Samaritaine en Jn 4, s’il comporte assez de densité théologique pour être interprété symboliquement (mentions de Sichem, du puits de Jacob, en terre d’infidélité), il vaut non moins par sa teneur d’humanité. Ce ne sont là que quelques « flashes » narratifs à la marge d’un vaste champ d’exploration exégétique [24][24] Voir, témoin de ce travail, Denis Fricker, Quand Jésus…. Mais ils permettent d’éprouver existentiellement la singularité du regard de Jésus, témoin de la nouveauté qu’exprime Paul en Ga 3,28 (« désormais… il n’y a plus l’homme et la femme »). Non au sens où l’altérité serait abolie, dans un déni de la vérité anthropologique. Mais parce que, dans le Christ, la relation entre les sexes cesse d’avoir pour destin la méconnaissance et l’hostilité. La relation à l’autre, assumée dans la clarté du regard du Fils, est désignée comme la vérité de la rencontre à laquelle hommes et
La constitution Lumen Gentium du concile Vatican II envisage, entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, une différence d’essence, et non seulement de degré (LG 10), et offre ainsi une possibilité de penser de manière renouvelée la place des femmes dans la vie de l’Église, non pas seulement en fonction des responsabilités qu’elles pourraient y exercer, mais avant tout, en fonction d’une compréhension renouvelée de son mystère. En effet, la formulation de Lumen Gentium permet de dépasser une vision simplement hiérarchique de la relation entre sacerdoce commun et sacerdoce ministériel. Si le sacerdoce ministériel renvoie l’Église au sacerdoce du Christ dont elle procède, il se trouve lui-même placé, à ce titre, au service du sacerdoce commun – ou « existentiel » – des fidèles. La notion de sacerdoce des fidèles constitue ainsi une clef de compréhension de la mission de tous les baptisés – femmes et hommes : à l’exemple du Christ, leur mission primordiale consiste à servir l’autre, dans la réalité incarnée du quotidien.
Plan de l’article
Femmes dans l’Eglise aujourd’hui
Sur quelques modalités de « l’invisibilité des femmes » dans le Premier Testament
Des Evangiles et de Jésus Des femmes et du sacerdoce
Du sacerdoce ministériel connu à partir du sacerdoce baptismal
Les femmes dans l’Eglise, visibilité du sacerdoce baptismal
Article complet
La vie des femmes est aujourd’hui partout présente dans l’actualité du monde. Les médias évoquent en continu les manières inédites dont elles prennent part aux événements qui bousculent les sociétés, là même où des structures patriarcales continuent à peser sur leur quotidien. Depuis son passage à la tribune de l’ONU, le monde entier connaît le combat de Malala, jeune pakistanaise engagée au prix de sa vie contre l’obscurantisme et le fanatisme. La chape de silence couvrant les innombrables violences faites aux femmes, du viol de guerre à l’eugénisme qui empêche les filles de naître, commence à être ébranlée. Il se sait un peu mieux qu’il existe une corrélation entre la promotion des femmes, la maîtrise de la fécondité, leur accès au savoir et à l’éducation, et le progrès d’ensemble d’une société, l’arrachement à la pauvreté et l’accès à une vie globalement meilleure [1][1] Voir en ce sens la déclaration du secrétaire d’Etat…. Tout cela est déjà une bonne nouvelle, même s’il y a loin de l’émergence d’une conscience jusque-là étouffée à l’accès effectif à un ordre plus juste, institutionnellement confirmé et garanti. En langage chrétien, on parlera d’un « signe des temps » [2][2] Cf. Jean XXIII, Pacem in terris, § 41 faisant de la…. L’Eglise est évidemment concernée par cette réalité de multiples manières. Incontestablement, par le fait qu’elle est à la man œuvre, souvent silencieusement, pour promouvoir le respect des femmes dans des sociétés où celles-ci comptent pour rien. Le cardinal Maradiaga évoque ainsi le combat patient et opiniâtre qui fut le sien dans les campagnes du Honduras [3][3] Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, De la difficulté…. Mais l’Eglise est aussi rejointe ad intra par les évolutions actuelles. En témoigne la manière dont le pape François a abordé le sujet très vite après son élection, en dénonçant avec une belle franchise les lieux communs d’une féminité rabattue sur la maternité ou encore les ambiguïtés d’un « service », spécialité prétendue des femmes, si souvent perverti en simple servitude [4][4] Discours pour les 25 ans de la Lettre apostolique Mulieris…. Du même mouvement, il a évoqué l’urgence pour l’Eglise d’une réflexion de fond. « Il faut ouvrir un chantier », a-t-il dit [5][5] Cf. les propos aux journalistes lors du voyage de retour… de manière surprenante, comme si la tâche était inaugurale, alors même que depuis plusieurs décennies le discours du magistère de l’Eglise catholique témoigne d’une attention aux femmes qui s’est déclarée à de multiples reprises [6][6] On ne rappellera pas ici l’abondant corpus bien connu…. Mais, de fait, comment nier que la question reste programmatique ? A l’évidence, nous sommes là sur un point où se condensent méfiances, peurs, résistances, peu accessibles aux raisons de la raison, fût-elle théologique. Qui a remarqué ce détail minuscule, piquant, mais éloquent, du texte de la Commission biblique L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, publié cinq ans après Mulieris dignitatem : le document y fait droit à l’existence de « lectures féministes » jusque-là ignorées, mais une note précise – la seule de tout le texte – que ce paragraphe a été l’objet de débats qui ont dû être tranchés par un vote [7][7] Commission biblique pontificale, L’interprétation de……
2 Les pages qui suivent commenceront par rappeler le niveau de profondeur anthropologique et théologique auquel confronte le sujet. En conséquence de quoi on verra que la réflexion doit s’ouvrir aujourd’hui à une problématique radicale, dont l’enjeu n’est rien de moins qu’une véritable conversion évangélique permettant à la relation homme-femme de trouver sa justesse, non seulement au bénéfice des femmes, mais de la vie de l’Eglise entière. C’est dire qu’il s’agira d’éprouver, en particulier, comment un questionnement sur la vie chrétienne vécue au féminin invite à reconsidérer, selon toute son ampleur, la réalité du sacerdoce baptismal dans sa relation au sacerdoce ministériel, et cela bien au-delà du seul débat disciplinaire. Femmes dans l’Eglise aujourd’hui
3 Convenons d’abord que ce serait s’enfermer dans une posture de contestation stérile que de faire l’impasse sur ce qui a pu surgir de nouveauté depuis Vatican II dans les pratiques de l’Eglise catholique. On peut en minimiser la portée en n’y voyant que le retentissement forcé de réalités socioculturelles. On peut faire l’inventaire de ce que les textes magistériels continuent à charrier de réflexes androcentriques [8][8] Cf. Joseph Famerée, Marie-Elisabeth Henneau, Elisabeth…. On peut sans aucun doute estimer les changements trop lents, encore essentiellement marginaux. Il n’empêche que des dispositions inconcevables il n’y a pas si longtemps pénètrent aujourd’hui la vie ecclésiale. Ainsi l’appel de Christifideles laïci (1988) à ce que des femmes entrent dans les conseils pastoraux diocésains et paroissiaux, ou œuvrent dans les synodes diocésains, n’est pas resté lettre morte [9][9] Christifideles laïci, Exhortation apostolique post-synodale…. Des fonctions traditionnellement et structurellement réservées aux hommes, sinon aux prêtres, se voient aussi investies de présence féminine. L’accompagnement spirituel est de plus en plus fréquemment délégué à des chrétiennes chargées d’aumôneries en des lieux – hôpitaux ou prisons – aux prises avec les questions radicales de la vie en expérience de souffrance, d’échec, ou à l’horizon de la mort. Le fait d’y être en charge du témoignage de la miséricorde du Christ sans avoir accès aux gestes sacramentels qui donnent la plénitude de cette miséricorde, fait souvent problème aux intéressées, mais pose par là même des questions sur lasacramentalité dont il serait bon de se saisir. La pratique universitaire de la théologie ou de l’exégèse s’est également ouverte aux femmes, non seulement à titre d’enseignées accédant aux diplômes qualifiants, mais aussi comme enseignantes. Il n’est certainement pas indifférent, à terme, que des séminaristes, des prêtres, des religieux soient formés aux savoirs de la foi et à leurs futures responsabilités par des femmes qui en reçoivent mandat et autorité [10][10] Cf. Marie-Jo Thiel, « Femmes dans l’Eglise du Christ »,…. Ailleurs encore, des chrétiennes, consacrées ou même laïques, sont requises pour prêcher des retraites à des communautés religieuses, masculines ou féminines, parfois à des assistances d’évêques.
4 Ces avancées, prolongées aujourd’hui par des perspectives plus audacieuses encore (la présidence de conseils pontificaux pourraient être assurée par des femmes [11][11] Déclaration de Mgr Gerhard Müller à l’agence CIC à…), doivent être saluées avec confiance. Cependant, elles ne peuvent faire oublier que, dans le quotidien de la vie ecclésiale, domine chez une majorité de chrétiennes l’expérience taraudante et douloureuse d’une incapacité de l’Eglise catholique à accéder à une véritable estime de ce qu’elles sont et de ce qu’elles vivent [12][12] En ce sens, l’analyse sans concession du père J. Moingt…. L’on ne parle pas simplement ici d’une quête de reconnaissance pour services rendus ou même de promotion, mais bien de ce qui est éprouvé comme une difficulté originelle à gérer l’articulation du masculin et du féminin. Un symptôme étant la manière invétérée de confiner les femmes dans des tâches d’intendance ou de gestion, où une autorité masculine, en l’occurrence sacerdotale, sous-traite des responsabilités, quitte à faire hommage à des stéréotypes de qualités dites féminines, qui jouent avec ambiguïté des vertus du service. Les débats ouverts naguère à propos des servantes d’autel ne mériteraient pas plus d’attention, s’ils ne révélaient une manière d’investir la différence sexuelle d’un enjeu de sacralité très équivoque, qui aboutit à faire jouer aux filles un rôle de service communautaire péniblement caricatural. Enfin et surtout, nul n’ignore la difficulté que constitue une morale conjugale et sexuelle perçue par les femmes comme un abus d’autorité, dès lors que sont pensées et décidées au masculin des questions engageant la rencontre de l’un et l’autre sexe dans le plus intime d’une expérience différenciée de la chair et de la relation à l’autre. S’il est vrai que se jouent là des réalités-tests de nos sociétés en mal de réponses autres qu’une gestion contraceptive banalisée, comment ne pas être impatient d’une sagesse ecclésiale élaborée à plusieurs voix, hommes et femmes, pour un discours de vérité qui soit audible et recevable ?
5 Dans ces conditions, on peut craindre que le souci qui s’exprime aujourd’hui de distribuer plus justement charges, responsabilités, exercice de l’autorité, tout en étant légitime et nécessaire, n’épuise pas les problèmes à traiter. On sait que, dans la société civile même, une politique volontariste comme l’imposition de la parité, n’est que partiellement efficace. Le pape François lui-même déclare insuffisante la seule promotion fonctionnelle des femmes dans l’Eglise [13][13] Entretien avec le pape François publié par le Corriere…. Si des chrétiennes engagées dans la mission vivent aujourd’hui la douleur d’une méconnaissance humiliante, c’est que le problème institutionnel s’inscrit dans une plus vaste réalité, celle d’une invisibilité structurelle de leur présence et de leur agir. Invisibilité anthropologiquement fondée, et théologiquement redoublée. Et manifestement au-delà de l’espace judéo-chrétien, comme cela s’est attesté dans les rencontres inter-religieuses d’Assise : au lieu même où se déclarait solennellement la responsabilité partagée des religions pour la paix, s’avouait en creux – mais qui s’en est soucié ? – la difficulté également partagée à y inscrire la contribution des femmes [14][14] On se rappellera que le message du pape Jean-Paul II…. Symptôme peut-être d’un immémorial, que seul le langage du mythe pourrait être apte à signifier, comme lorsque la Genèse conjoint à propos du « homme-femme » la double affirmation d’un « très bon » originel et d’un brouillage où s’obscurcit la perception mutuelle [15][15] Ce brouillage est précisément décrit comme « oubli »…. De fait, par-delà les figures féminines fantasmées qui remplissent les imaginaires de l’humanité, il est une difficulté essentielle à la reconnaissance des femmes réelles, dont la forme extrême est celle de leur effacement. On ne s’étonnera donc pas que les Ecritures bibliques soient concernées par ce problème, ni que celui-ci hante le subconscient chrétien, et donc la théologie, à l’endroit même où il lui faut penser ce que vient toucher et guérir le salut accueilli dans le Christ. Sachant selon la formule de Dei Verbum que « l’Ecriture est âme de la théologie » et des représentations qui l’accompagnent, on commencera précisément par quelques remarques concernant le donné scripturaire vétéro- et néo-testamentaire qui nous paraissent partie prenante du « chantier » évoqué plus haut, et qui seront le préalable au questionnement théologique qui suivra. Sur quelques modalités de « l’invisibilité des femmes » dans le Premier Testament
6 Sans ignorer que les Ecritures construisent un rapport au féminin suffisamment complexe pour que misogynie et honneur des femmes puissent également s’en réclamer, il est salubre de reconnaître les effets d’effacement ou, du moins, d’obscurcissement du féminin, qu’elles comportent. Plusieurs modalités discursives sont ici concernées.
7 Une première concerne la logique de pseudo-inclusivité fondée sur ce fait de langue qui veut que les formes du masculin aient aussi valeur de générique, en neutralisant la différence des sexes. Comment éviter en effet que ce qui est nommé explicitement – le masculin – n’absorbe le féminin qu’il est censé signifier implicitement, confortant ainsi silencieusement la réalité d’un féminin secondarisé, relativisé ? Le fait que les femmes soient présentes au texte biblique majoritairement en troisième personne, donc soient parlées avant que de parler, prouve que le péril est loin d’être illusoire. Que le tu ou le vous, qui portent en hébreu la marque du masculin, impliquent effectivement le destinataire féminin doit donc être objet de vérification, l’embrayage supposé se révélant parfois bien problématique, même en des points névralgiques de la révélation biblique. Ainsi, par exemple, du récit de la théophanie du Sinaï en Ex 19-20. Moïse invite à s’y préparer en se tenant « éloigné de la femme » (Ex 19,15), par risque d’impureté évidemment, rendant perceptible le fait que la communauté d’Israël tend à s’identifier ici aux hommes qui la composent [16][16] Voir l’étude de Naomi Steinberg dans Methods for Exodus,…. De même, dans la foulée, de l’énoncé des commandements. Ils valent certes pour tout membre du peuple. Mais la formulation du dernier, où la femme figure dans la liste des biens quel’homme ne devra pas convoiter (Ex 20,17), montre que la part féminine du groupe destinataire n’est rejointe ici qu’obliquement, à travers une parole destinée aux hommes. Il serait certes naïf de s’étonner que ces textes incorporent les schémas patriarcaux organisateurs des cultures dont ils émanent. Mais on ne peut négliger d’interroger les effets identificatoires et théologiques qui en découlent. De même, dès lors que la circoncision est le signe privilégié d’appartenance à l’alliance, sur quel mode spécifique les femmes ont-elles part à cette dernière ? Et que signifie, pour l’alliance elle-même, la manière féminine de la vivre ? On notera que le Nouveau Testament est touché par le problème, lorsque dans les récits de multiplication des pains, le décompte de l’assistance se fait « sans compter les femmes et les enfants » (Mt 14,21 ; 15,38) [17][17] Sur la lecture de ce texte voir Sheila E. McGinn, « Not…. En l’occurrence, cette formule provocante a pour vertu d’accuser le contraste avec la finale de l’évangile qui restitue une forte présence féminine, depuis la scène de Béthanie jusqu’au matin de la Résurrection, où les femmes sont les premières à rencontrer et à annoncer le Ressuscité. Mais seul qui se sera étonné vraiment de leur précédente invisibilité mesurera alors le poids de leur présence.
8 Une autre donnée discursive problématise le rapport au féminin. Elle concerne l’usage de la métaphore dans la parole prophétique, lorsque la révélation se formule en termes d’alliance appuyée à l’expérience anthropologique du couple. Décisive pour introduire au dépassement du dieu de la métaphysique et pour révéler le Dieu qui aime d’amour et s’engage dans les vicissitudes de la relation à l’autre, cette thématique n’est cependant pas exempte de périls touchant la représentation du féminin [18][18] Pour une réflexion sur les périls de la métaphorisation,…. L’appariement, terme à terme, des couples Dieu-Israël et homme-femme ne peut manquer d’accréditer subrepticement une affinité du masculin et du divin, confortant le premier dans des privilèges de pouvoir, alors que la métaphorisation féminine du peuple ancre le féminin dans un registre d’humanité faillible, d’autant plus sûrement que l’histoire de l’alliance inclut beaucoup d’infidélité. Avant que ne soit désignée Sion-Jérusalem, radieuse de sainteté, c’est la figure d’une femme adultère et d’une prostituée – métaphore où le peuple est appelé à reconnaître son péché – qui domine dans des oracles de jugement chargés d’une violence qui semble directement démarquée des plus sombres discours machistes [19][19] Anne-Marie Pelletier, « La révélation au risque d’éros »,…. On peut se demander dans quelle mesure les hommes (mâles), qui font partie des destinataires d’Osée ou d’Ezéchiel, ont consenti à se reconnaitre dans cette figure féminine de péché, alors même que l’adultère masculin n’existe, dans le droit du temps, que s’il y a usurpation d’un bien d’autrui, c’est-à-dire si la femme est mariée. Les constats découragés des prophètes font douter des effets de la métaphore. En revanche, tout laisse penser que s’est forgée à travers celle-ci une redoutable identité de la femme, déclarée d’origine faible, infidèle et dévoyée. Certes, un livre, le Cantique des cantiques, tire la vision en sens inverse. Mais, quels que soient les trésors mystiques issus de sa fréquentation, on doit admettre que l’allégorie, de nouveau, aura maintenu la distance avec les femmes réelles, en décrochant durablement ses mots de tout réalisme sensible. Tout comme il en va de l’ecclésiologie issue de son commentaire : sa manière de magnifier la féminité de l’Eglise ne trouve sa vérité et sa fécondité que pour autant qu’elle n’est pas confinée à une proposition abstraite. Péril toujours un peu menaçant et qui guette également la mariologie, quand l’humanité de Marie disparaît dans une sublimation qui proportionne l’honneur qui lui est rendu à la distance qui la séparerait de ses sœurs en humanité. A cet égard, l’interprétation qui fait de la Vierge Marie l’anti-type idéal d’Eve vue comme femme générique, ne va pas sans conséquences onéreuses, malgré ses titres de tradition [20][20] On n’oubliera pas que cette interprétation probablement…. Sans compter que lorsque l’on propose Marie de façon privilégiée à l’imitation des femmes, on masque le fait que c’est tout chrétien qui doit trouver en elle l’icône de la sainteté à laquelle il est appelé.
9 Par-là se rejoint une autre manière encore d’esquiver la rencontre des femmes réelles dans l’existence concrète de la chair et du temps, donc dans la condition humaine avec ses faiblesses et ses obscurités. On pointe ici un discours du sublime qui, au prétexte de rendre hommage aux femmes, éloigne paradoxalement de ce que serait une vraie reconnaissance. L’usage ecclésial du thème de « l’éternel féminin » n’est pas à l’abri de ce danger. Tout comme le discours qui prétend accorder aux femmes plus qu’aux hommes, en leur prêtant une affinité native et élective avec le spirituel. Le péril est subtil car, de fait, les Evangiles témoignent d’une aisance, d’une liberté, d’une capacité féminines à affronter le scandale de la Passion, expliquant peut-être qu’elles aient été « les premières à voir Jésus ressuscité, car elles ont été les dernières à l’abandonner mort » [21][21] Cf. Raniero Cantalamessa, Prédication du Vendredi-Saint,…. Mais les femmes restent bien partenaires des hommes, quand il s’agit d’entrer dans la foi à l’inconcevable, d’affronter le doute et de participer à la mission. Effacer cette condition partagée, c’est construire une relation fictive qui laisse entiers, quand elle ne les masque pas, les problèmes de coexistence et de collaboration dans l’Eglise.
10 Telles sont donc quelques-unes des chicanes, sur le trajet de la rencontre des hommes et des femmes, qu’un questionnement sensible aux problèmes contemporains permet d’identifier dans les Ecritures et, partant, dans les discours ecclésiaux. Mais le constat s’arrêterait à mi-chemin si l’on oubliait que dans le même temps cette problématique éclaire non moins, dans les deux Testaments, une présence du féminin insoupçonnée jusqu’à ce jour. En continu, l’histoire biblique et l’accomplissement des Ecritures incorporent à l’agir des hommes celui de femmes, dont le rôle n’est pas moins déterminant, depuis la matriarche Sarah jusqu’à Marie de Nazareth, Mère de Jésus, Mère de Dieu, en passant par les rusées accoucheuses qui, au début de l’Exode, se jouent des projets meurtriers de l’Egypte et sauvent le futur sauveur d’Israël [22][22] La littérature est aujourd’hui immense. Mentionnons…. Cette histoire doit naturellement figurer au programme du « chantier » évoqué plus haut, en commençant par les Evangiles. Des Evangiles et de Jésus
11 Le fait est que Jésus voit les femmes et invite à les voir, comme y insistent des lectures contemporaines des Evangiles [23][23] Ainsi entre autres, Les anonymes de la Bible, Cahier…. La veuve, perdue dans la foule, qui dépose son obole au trésor du Temple, n’a rien pour attirer l’attention. A l’inverse des postures ostentatoires des scribes que Jésus vient de dénoncer, son geste est destiné à Dieu seul. Pourtant Jésus la voit et par elle enseigne ses disciples en révélant le cœur profond, au-delà de ce qui se voit (« elle, de son indigence, a donné tout ce qu’elle avait »). Ce dont elle ne saura rien, alors même que, à proximité de sa Passion, Jésus aura peut-être reçu d’elle l’expression proleptique du don que lui-même va faire de sa vie. En Luc, une autre femme instruit le lecteur de la qualité du regard de Jésus. Chez Simon le pharisien (Lc 7, 36-50), une anonyme encore, mais désignée comme pécheresse, baigne les pieds de Jésus de ses larmes et de parfum. Jésus fait de l’épisode l’occasion d’une conversion du regard de son hôte : son « tu vois cette femme » adressé au pharisien vaut comme constat qu’il ne voit précisément pas, puisqu’il ne voit qu’une prostituée qu’il condamne. Il faut le reproche de Jésus, doublé d’une petite parabole interprétant les gestes audacieux de la femme, pour qu’advienne la vérité, celle d’un cœur qui aime assez pour éprouver toute la mesure de la générosité du pardon de Dieu. La scène de l’onction à Béthanie en Mt et en Mc manifeste à son tour l’obscurité du regard des témoins, que Jésus dénonce : le parfum versé sur son corps, leur enseigne-t-il, n’est pas gaspillage, mais onction qui anticipe la réalité de sa mort prochaine. De là cette étonnante promesse d’une mémoire qui n’a d’égale que celle dont parle Luc à propos du geste eucharistique de la Cène (« Partout où sera proclamé cet évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle a fait », Mt 26,13). Quant au récit de la Samaritaine en Jn 4, s’il comporte assez de densité théologique pour être interprété symboliquement (mentions de Sichem, du puits de Jacob, en terre d’infidélité), il vaut non moins par sa teneur d’humanité. Ce ne sont là que quelques « flashes » narratifs à la marge d’un vaste champ d’exploration exégétique [24][24] Voir, témoin de ce travail, Denis Fricker, Quand Jésus…. Mais ils permettent d’éprouver existentiellement la singularité du regard de Jésus, témoin de la nouveauté qu’exprime Paul en Ga 3,28 (« désormais… il n’y a plus l’homme et la femme »). Non au sens où l’altérité serait abolie, dans un déni de la vérité anthropologique. Mais parce que, dans le Christ, la relation entre les sexes cesse d’avoir pour destin la méconnaissance et l’hostilité. La relation à l’autre, assumée dans la clarté du regard du Fils, est désignée comme la vérité de la rencontre à laquelle hommes et femmes sont appelés.
12 L’entrée dans cette nouveauté fait partie de la tâche qui revient au temps de l’Eglise, et donc au nôtre. L’histoire des premières générations chrétiennes prouve qu’elle a été d’emblée un labeur, entre progrès et reflux. Les textes montrent les déplacements produits par l’annonce évangélique, en décrivant la présence active de femmes dans les premières communautés aux côtés d’hommes, dont des presbytres sur lesquels n’a pas encore reflué la tradition sacerdotale juive. Mais ils laissent percevoir aussi un fort et rapide penchant à revenir à la dissymétrie antérieure (cf. 1 Tim 2,9-15, « … je ne permets pas à la femme d’enseigner… »). Tropisme que Michel Gourgues interprète dans une étude récente comme un effet de l’inculturation de la foi dans des milieux païens, où la gestion inégalitaire de la différence des sexes était de règle [25][25] Michel Gourgues, Ni homme, ni femme, L’attitude du…. D’autres obstacles surgiront, en particulier avec l’apparition d’une tradition ascétique très éloignée de la liberté heureuse et vivifiante des rencontres féminines de Jésus dans les Evangiles. Cependant, la chance du moment présent est de pouvoir faire droit à la complexité de vingt siècles de christianisme, où coexistent de fait les préjugés de la misogynie et un dynamisme de féminité chrétienne présent à l’« histoire profonde » [26][26] Cf. Anne-Marie Pelletier, Le christianisme et les femmes,…. Elle est aussi, nous semble-t-il, de pouvoir donner à cette histoire une suite qui soit un vrai progrès évangélique, en conférant précisément aux femmes une visibilité théologiquement mieux élaborée. Des femmes et du sacerdoce
13 Pour cela, il nous faut précisément en venir à la question du sacerdoce ! On sait que la non-accession des femmes au sacerdoce ministériel est aujourd’hui question dirimée par des déclarations magistérielles (Inter Insigniores en 1976 et Ordinatio sacerdotalis en 1994). Prenant acte de ces textes, on voudrait soutenir que les implications théologiques – en l’occurrence ecclésiologiques – de cette disposition n’ont probablement pas été à ce jour pleinement développées, non seulement du point de vue des femmes, mais du corps ecclésial tout entier. La conscience commune (avec les pratiques qui en découlent…) reste celle d’une dissymétrie entre une masculinité ouverte potentiellement à l’exercice du sacerdoce ministériel, et une féminité qui en est exclue par principe. Et la pente la plus naturelle est de penser hiérarchiquement un tel régime de différence, avec pour conséquence subreptice, c’est-à-dire appartenant à la zone d’ombre que l’on interrogeait précédemment, de voir l’existence chrétienne au féminin – dans la vie religieuse ou laïque – affectée in fine d’une connotation minorante. Au-delà de ces évidences silencieuses, il faut donc relancer le questionnement en acceptant que la « question des femmes » puisse rejaillir sur l’intelligence de l’ensemble du Corps. Ainsi donc, dès lors que l’on convient que les femmes ne sont pas vouées à une sous-vocation – ce que certaine théologie maximaliste du sacerdoce ministériel laisse parfois soupçonner – comment le sacerdoce baptismal doit-il être restitué au cœur de l’identité chrétienne ? Quelle visibilité nouvelle reçoit-il ? Et de même, si l’on tient que nul ne vit pour soi mais que, dans la singularité de sa vocation, il est constitué témoin et signe d’une vérité de la vie chrétienne qui est celle de tous, quelle contribution spécifique les femmes apportent-elles à l’intelligence que l’Eglise doit avoir d’elle-même ?
14 On le sait, le sacerdoce baptismal fut un souci éminent du concile Vatican II, singulièrement dans la Constitution Lumen gentium, qui s’ouvre par la vision déployée du Mystère de l’Eglise enraciné dans le Mystère trinitaire. Tissé de citations néo-testamentaires, le langage est résolument inclusif, tout comme lorsque l’Eglise avec ses munera est pensée en référence à la notion biblique de « peuple de Dieu ». Tout comme, plus loin, dans le développement sur « L’appel universel à la sainteté » confirmant une saisie grandiose et résolument intégrative de l’identité chrétienne fondée sur la grâce baptismale. Tout comme dans le chapitre sur « Les laïcs », quand est redite à partir du § 32 l’unicité du baptême, de la grâce de l’adoption filiale, dès lors qu’il n’y a « qu’un seul Seigneur » (Ep. 4,5), seul « grand prêtre » pour l’éternité (Hb 4,14 ; 7,3), en qui tous reçoivent participation à la triple fonction prophétique, royale et sacerdotale. Ainsi, l’Eglise entière, « depuis les évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïques » (§12), est-elle sacrement du salut donné dans le Christ, dont elle-même est engendrée, et qu’elle est appelée à répercuter aux dimensions de l’humanité.
15 Tout débat sur « la place à faire aux femmes » dans le corps ecclésial doit avoir pour prémices une réflexion ré-ouverte à cette amplitude de la sacramentalité de l’Eglise, telle que la définit 1 Pi 2,9 (« Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis »), et encore Paul énonçant que tous ont « revêtu le Christ » (Ga 3, 26-27), et sont donc appelés à être sa présence agissante et sanctifiante, dans l’offrande que tous font d’eux-mêmes dans la célébration eucharistique en s’associant au sacrifice du Christ (« Que l’Esprit saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire », cf. Prières eucharistiques III et IV). Le sacerdoce ainsi profilé ne relève pas d’abord d’un mandat, d’une délégation du sacerdoce ministériel. Il est inhérent à la vie et à la grâce reçues avec l’onction baptismale et chrismale [27][27] « Si toute l’Eglise est sacrement, si toute l’Eglise…. D’où sa qualification comme sacerdoce « commun » (LG 10), d’un terme qui, tout en suggérant son extension à tous, a l’inconvénient de l’affecter d’une connotation de banalité qui s’accorde mal avec sa grandeur proprement mystique de configuration à la personne de Jésus (cf. « …il les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils », Rm 8,29). Raison pour laquelle on le verrait plus justement désigné comme « sacerdoce existentiel » [28][28] Bernard Sesboüe, ibid., p. 340 sq., puisqu’il a bien pour enjeu l’inscription dans le concret du quotidien et jusque dans ses plus humbles expressions, des gestes du Christ « passé en faisant le bien » (Ac 10,38) et témoignant que nul n’est jamais trop pécheur pour être exclu de la miséricorde du Père.
16 L’éminence de ce sacerdoce non ministériel étant remise en lumière, en a-t-on pour autant tiré toutes les conséquences ? D’abord en termes de reconnaissance et d’estime, puis en termes d’exercice de l’autorité, de responsabilité dans le témoignage et la mission, de pouvoir de décision, mais aussi de sacramentalité incorporée aux gestes de la vie ordinaire, quand servir l’autre est une manière d’être Christ pour le Christ reconnu dans le prochain. Rien n’est moins sûr. En tout cas, le débat sur les ministères – dans leur diversité de ministères ordonné, institué ou simplement confié – trouve ici sa place légitime et son urgence. Il importe de prolonger ce qui est évoqué en Lumen Gentium sous le seul rapport des charismes (n° 12) ou de l’apostolat les laïcs, tout comme d’approfondir la référence à la sphère du « temporel » – désigné comme le domaine propre à la vocation des laïcs (n° 31). D’abord parce que le « temporel » renvoie en fait à une sécularité – appartenance au monde, qui ne se confond pas avec la sécularisation ! – qui, loin d’être l’apanage de la vie laïque, est marque de l’Eglise toute entière, dès lors que celle-ci existe dans la fidélité au « il s’est fait homme » par lequel Jésus s’est immergé dans le monde à sauver [29][29] Voir les analyses de Dietrich Bonhoeffer sur « l’appartenance…. Ensuite, parce qu’en définissant d’abord par défaut le laïcat voué au temporel (il est fait des fidèles qui n’appartiennent ni à l’ordre sacré ni à l’état religieux, n° 31), on ramène implicitement l’idée de paliers, la perfection restant le propre du sacerdoce ministériel, ainsi que l’atteste la pratique dans les monastères d’hommes où l’on confère encore souvent l’ordination indépendamment des besoins que requiert la vie sacramentelle de la communauté. Comme si la vocation monastique était en appel d’un supplément que seule l’ordination sacerdotale pourrait conférer à ses membres… du moins là où la masculinité de ceux-ci l’autorise. Exemple symptomatique de la difficulté, ici et en tant d’autres lieux ecclésiaux, d’honorer vraiment un sacerdoce baptismal, qui fut pourtant la ressource exclusive de chrétiennes que le xxe siècle a proclamées Docteurs de l’Eglise : en celui-ci se fonde et se légitime la parrhésia d’une Catherine de Sienne, sur un mode public, ou celle, sur le mode caché de la vie du Carmel, d’une Thérèse de Lisieux faisant sa propre prière des mots de Jésus dans la prière sacerdotale de Jn 17 (« … je souhaite qu’où je serai, ceux que vous m’avez donnés y soient avec moi, et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous m’avez aimée moi-même » [30][30] Thérèse de Lisieux, Manuscrit C 34 r°, Œuvres complètes,…). A l’évidence s’illustre là l’éminence du sacerdoce « qui du chrétien, membre du Roi et Prêtre éternel, fait un Christ », comme l’écrit H. de Lubac, ajoutant que cette réalité mystique « ne peut être approfondie par aucune institution ou consécration surajoutée, par aucun autre sacerdoce » [31][31] Henri de Lubac, Méditation sur l’Eglise, Paris, Cerf,…. Du sacerdoce ministériel connu à partir du sacerdoce baptismal.
17 Vu de ce point, qu’en est-il alors du ministère ordonné ? Disons d’emblée que l’éclat retrouvé du sacerdoce baptismal – dont les Catéchèses anciennes attestent combien il fut sensible aux temps patristiques – n’implique nullement l’amoindrissement de ce dernier. Il doit permettre en revanche d’approfondir positivement son identification, en référence à l’unique sacerdoce du Christ mais aussi à celui, participé, de tous.
18 Une première conséquence de ce qui précède est de restituer le ministère apostolique à son englobant, en rappelant cette évidence que, avant toute autre spécification, celui-ci est appel adressé à des baptisés, et qui le resteront dans l’exercice de leurs munera spécifiques. Cette inclusion a quelque mal à se formaliser dans le discours théologique (sans parler des consciences), qui continue à penser sacerdoce baptismal et sacerdoce ministériel d’abord en termes de juxtaposition ou de face à face, donc inévitablement de dignité différenciée. Même si les textes prennent aujourd’hui leur distance avec une sacralisation du prêtre comme « autre Christ » [32][32] Sur une théologie maximaliste du sacerdoce ministériel,…, ils couplent le ministère sacerdotal avec une perfection de sainteté associée à une intimité de vie spirituelle qui lui seraient conférées en exclusivité. Toutes choses, notons-le au passage, de nature à justifier le désir exprimé par des chrétiennes d’avoir accès à pareille voie d’excellence. Il faut donc en revenir, encore et toujours, à la vraie spécificité, qui donne au ministère apostolique à la fois son identité et sa grandeur propres : celle – surdéterminant en quelque sorte le baptême, et pour le temps présent – d’une configuration au Christ, dans sa fonction de Tête du Corps et de Pasteur, avec le triple munus de l’enseignement, du culte divin et du gouvernement pastoral. Tout cela ayant pour finalité le service du peuple de Dieu et, à travers lui, l’humanité destinataire du salut.
19 C’est là la teneur, nous semble-t-il, de la formule a priori provocante de Lumen Gentium posant que, issus l’un et l’autre de l’unique sacerdoce du Christ, sacerdoce ministériel et sacerdoce commun des fidèles « ont entre eux une différence d’essence (essentia) et non seulement de degré (non gradu tantum) » (LG10). Correctement entendue, cette proposition doit faire barrage à une problématique hiérarchique (même si le non tantum témoigne d’une invincible pression contraire…) et permettre d’entrer dans la logique paradoxale d’un ministère sacerdotal que l’on doit pouvoir dire à la fois premier et second. Premier, en effet, au sens où, fondamentalement, hors de lui, c’est-à-dire hors de la vie sacramentelle dont elle est engendrée et dont elle tire sa ressource, l’Eglise ne serait qu’une collectivité auto-proclamée, s’exténuant dans la poursuite d’elle-même, s’abîmant dans l’illusion d’être causalité première du salut. De même que c’est seulement en étant ressaisie dans la propre offrande eucharistique du Christ, que l’offrande de vie de l’Eglise, en chacun et en tous, trouve sa consistance et en fait l’action de grâces digne du Père. Là où est perdue la mémoire de ce décentrement fondateur, que signifie et concrétise en son sein le sacerdoce ministériel, l’Eglise ne peut que s’effondrer sur elle-même [33][33] Nous nous appuyons dans la partie présente sur l’analyse…. Mais le corrélat de cette primauté est que le sacerdoce ministériel peut, non moins, se désigner comme second, puisqu’il est essentiellement relatif à l’autre, dont il est le service. Ainsi, en écart avec des problématiques théologiques et des pratiques qui ont pu parfois l’autonomiser, il trouve sa vérité d’être lui aussi décentré, et doublement, vers sa source et vers ceux qu’il a pour vocation de servir. Il relève donc essentiellement d’une « économie de l’autre », selon l’expression de G. Martelet, qui le voit encore comme effet de la kénose du Christ, assurant pour ce temps présent « la suppléance visible de l’invisibilité du Christ introduit désormais dans sa Gloire » [34][34] Gustave Martelet, op. cit., p. 318.. Ayant pour fonction d’être signe expressif et efficace du Fils « Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature… Tête du Corps… » (Co 1,15… 20), ce sacerdoce requiert moins, de la part de ceux qui y sont appelés, une excellence toujours un peu imaginaire, que l’apprentissage d’une autorité selon le Christ. C’est-à-dire selon Celui dont la lettre aux Hébreux dit qu’il n’a pas rougi d’appeler les hommes ses frères (Hb 2,11) [35][35] Sur la dimension de fraternité du ministère presbytéral,…. La fraternité désignée ici est au cœur du mystère du salut, où le Fils vient parmi les hommes, vit avec les hommes, jusqu’à l’extrême décrit par l’hymne de Philippiens 2. Elle fait donc partie intégrante de l’exercice du sacerdoce ministériel, comme l’a rappelé fortement, du reste, le texte de Presbyterorum ordinis [36][36] « Pris du milieu des hommes et établis en faveur des…. Au-delà de l’idéal humain, si peu accessible, elle apparaît comme la réalité qui signe l’entrée dans la Nouvelle alliance s’accomplissant dans le mystère pascal : au matin de Pâques, les disciples deviennent explicitement « mes frères » dans la bouche de Jésus (cf. Mt 28,10 et Jn 20,17) [37][37] Cf. Christian de Chergé, Retraite sur le Cantique des…. Car c’est alors aussi que la communauté des disciples devient une communauté de fils, engendrée du Fils unique. Ainsi l’accès à la vie filiale par les eaux du baptême est simultanément entrée dans la vie des frères. A entendre au masculin et au féminin, rappelle J. Ratzinger en citant K. H. Schelkle, puisque : « … le langage chrétien, et lui seul, met la “sœur” sur le même plan que le “frère”, avec des droits égaux » [38][38] Joseph Ratzinger, Frères dans le Christ, 1962, Paris,…. Les femmes dans l’Eglise, visibilité du sacerdoce baptismal
20 On remarquera pour finir que c’est précisément à partir d’une méditation centrée sur la filiation adoptive – la vocation du chrétien est vocation à être fils – que l’œuvre de Marie de la Trinité a naguère déployé une puissante théologie du sacerdoce, qui reste largement en attente d’inventaire et de réception [39][39] Marie de la Trinité, Filiation et sacerdoce des chrétiens,…. Tout y est centré sur le sacerdoce du Christ, « sacerdoce réel », duquel participe, en ce temps présent, le « sacerdoce sacramentel », ordonné à la vie des fils, mais sans oublier cette réalité que « quand nous sommes en contact avec le Fils, alors le Fils nous donne le sacerdoce afin qu’en Lui nous puissions, de tout nous-mêmes, tendre au Père et être reçus par Lui ». C’est pourquoi, note encore Marie de la Trinité, « il ne faudrait pas, tant que dure la condition terrestre, exalter le sacerdoce sacramentel seulement, et laisser, dans l’ombre et l’impuissance (par manque de coopération résultant surtout de l’ignorance), le sacerdoce réel qui, avec la Filiation, est communiqué à tous les fidèles pour prendre, en eux, toutes les dilatations qu’il plaît au Père de lui donner, aux fins de sa gloire et de la plénitude de leur béatitude ». Sans rien enlever au rôle du sacerdoce ministériel, cette théologie ouvre ainsi sur une vision dilatée et dilatante, où « Sacerdoce et Filiation prennent (…) une amplitude infinie » puisqu’« ils constituent la structure fondamentale du “chrétien” qui a reçu “l’onction” (cf. 1 Jean 2,20-27) » [40][40] Nous reprenons ces citations de Marie de la Trinité,….
21 Il n’est pas indifférent que ce soit une femme, bénéficiaire du sacerdoce ministériel sans en être acteur, qui ouvre de telles perspectives sur les profondeurs de l’identité chrétienne. Et, du même mouvement, permette de penser en justesse le ministère presbytéral, écartant ainsi des interprétations qui le chargent d’enjeux de pouvoir mondains, à défendre ici, ou à conquérir là. Ce qui est le propre du cléricalisme, source de division dans l’Eglise [41][41] Voir récemment sur le sujet le pape François dans Evangelii…. Quelle visibilité pour les chrétiennes ? demandions-nous. Celle d’être très précisément visibilité du sacerdoce baptismal : sacerdoce existentiel donc, qui s’exerce dans le réalisme incarné du quotidien, où il s’agit de servir la chair de l’autre, à l’exemple du Christ déclarant : « Et moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Qui est aussi sacerdoce témoignant pour tous qu’« il n’y a dans l’Eglise d’autre ministère que le service, et que tout ministère n’est qu’une organisation du service » [42][42] J. Ratzinger, op. cit., p. 78.. Qui est, enfin, sacerdoce pour l’éternité, présentement « en attente, en espérance de son exercice de gloire céleste » [43][43] Marie de la Trinité, de nouveau, Carnets II, Revêtir….
22 Concluons sur un geste qui condense, nous semble-t-il, tout le sens de ce que Marie de la Trinité appelle « sacerdoce réel » du Christ, lui-même source et récapitulation de tout sacerdoce. C’est celui de Jésus lavant les pieds des disciples au seuil de la Passion. Il se trouve que le pape François, en célébrant la liturgie du Jeudi saint, a coutume contrairement à l’usage d’étendre le rite à des femmes. Eu égard à la solennité de la scène qui occupe en Jean la place du récit de l’institution eucharistique dans les synoptiques, eu égard aussi à la consigne de réciprocité que formule Jésus, il y a là plus qu’un détail anecdotique. D’autant qu’il n’est pas indu de rappeler que le geste de Jésus a été devancé par celui d’une femme, Marie de Béthanie, ni de se souvenir qu’il entre en résonance avec une immémoriale expertise féminine, celle du souci de la chair de l’autre. Il n’est donc pas tout à fait anodin qu’en cet instant hautement symbolique, l’évêque de Rome honore des femmes, en les tirant de l’invisibilité où la tradition les tient ordinairement. Dans la liberté d’une interprétation des Ecritures toute évangélique.
Notes
[1] Voir en ce sens la déclaration du secrétaire d’Etat américain, John Kerry (La Croix, 6 mars 2014), rendant hommage à l’inventivité des femmes en appelant à leur présence dans la vie des nations : « Dans de trop nombreux pays, les traités sont rédigés par des combattants pour des combattants (…). Leur voix ne se fait entendre que trop rarement dans les négociations de paix ». [2] Cf. Jean XXIII, Pacem in terris, § 41 faisant de la promotion de la femme un des trois « traits caractéristiques » du temps présent. [3] Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, De la difficulté d’évoquer Dieu dans un monde qui pense ne pas en avoir besoin, Entretiens avec E. Valmir, Paris, Pocket Spiritualité, 2011. [4] Discours pour les 25 ans de la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, Documentation catholique n° 2613, janvier 2014, p. 140-141. [5] Cf. les propos aux journalistes lors du voyage de retour de Rio, 28 juillet 2013, où le pape déplore qu’il n’y ait « pas encore de théologie profonde de la femme ». [6] On ne rappellera pas ici l’abondant corpus bien connu des textes publiés sous les pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI depuis le Message aux femmes de Paul VI en conclusion du concile Vatican II, le 8 décembre 1965. A titre significatif, mentionnons seulement que de la Commission sociale des évêques de France prenait l’initiative en 2003 d’un document sur Les violences envers les femmes, Bayard/Fleurus/Cerf. [7] Commission biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, Paris, Cerf, 1994, p. 61. [8] Cf. Joseph Famerée, Marie-Elisabeth Henneau, Elisabeth Parmentier, Anne-Marie Reijen, Le christianisme est-il misogyne ? Place et rôle de la femme dans les Eglises, Bruxelles, Lumen Vitae, 2010. [9] Christifideles laïci, Exhortation apostolique post-synodale de Jean-Paul II, 1988, § 49-52 avec la reprise en particulier de la propositio suivante : « Que les femmes participent à la vie de l’Eglise sans aucune discrimination, même pour les consultations et l’élaboration de décisions ». [10] Cf. Marie-Jo Thiel, « Femmes dans l’Eglise du Christ », Documentation catholique n° 2368, 2006, p. 1015-1023. [11] Déclaration de Mgr Gerhard Müller à l’agence CIC à Rome, le 12 février 2014, mais contestant dans la même prise de parole la possibilité de nominations à la tête de Congrégations. [12] En ce sens, l’analyse sans concession du père J. Moingt (« Les femmes et l’avenir de l’Eglise », Etudes, 2012) rejoint en son cœur la situation présente. [13] Entretien avec le pape François publié par le Corriere della Sera et La Nacion, 5 mars 2014. [14] On se rappellera que le message du pape Jean-Paul II pour la XXVIIIe Journée mondiale de la Paix du 1er janvier 1995 portait pourtant sur « La femme éducatrice de la paix ». [15] Ce brouillage est précisément décrit comme « oubli » par S. Trigano interrogeant le nom hébreu de l’homme, zakhar, qui signifie aussi « se souvenir ». D. Horvilleur, qui cite cet auteur, explique qu’il revient à l’homme « de se souvenir de ce qui est en lui depuis sa création, de réhabiliter ce féminin oblitéré, c’est-à-dire tombé dans son ‘trou de mémoire’ » (En tenue d’Eve, Féminin, pudeur et judaïsme, Paris, Grasset, 2013, p. 181). [16] Voir l’étude de Naomi Steinberg dans Methods for Exodus, T. B. Dozeman (éd), Cambridge University Press, p. 163-192. De même, Judith Plaskow, Standing Again at Sinaï : Judaism from a Feminist Perspective, San Francisco, Harper and Row, 1990, p. 25-28. [17] Sur la lecture de ce texte voir Sheila E. McGinn, « Not counting [the] Women… », A Feminist Reading of Matthew 26-28, Seminar Papers, Society of Biblical Literature, 34, 1995, p. 168-176. [18] Pour une réflexion sur les périls de la métaphorisation, voir Catherine Chalier, Figures du féminin, Lecture d’E. Lévinas, Paris, La nuit surveillée, 1982, « Femmes métaphoriques », p. 11-51. [19] Anne-Marie Pelletier, « La révélation au risque d’éros », Communio, n° 181-182, 2005, p. 35-46. [20] On n’oubliera pas que cette interprétation probablement antérieure à Irénée lui-même a eu dans le même temps des contradicteurs, comme Origène et Méthode d’Olympe, interprétant l’Eglise, et non Marie, comme seconde Eve, cf. Johannes Quasten, Initiation aux Pères de l’Eglise II, Paris, Cerf, 1956, p. 157-158. [21] Cf. Raniero Cantalamessa, Prédication du Vendredi-Saint, Basilique Saint Pierre, 2007. [22] La littérature est aujourd’hui immense. Mentionnons parmi les travaux récents la trilogie d’Irmtraud Fischer, Des femmes aux prises avec Dieu, Récits bibliques sur les débuts d’Israël, Paris, Cerf, 2008 ; Des femmes messagères de Dieu, Prophètes et prophétesses dans la Bible hébraïque, 2009 ; Instructrices de Dieu. Femmes sages et Dame sagesse dans l’Ancien Testament, 2009. [23] Ainsi entre autres, Les anonymes de la Bible, Cahier Evangile 160, 2012 ; André Wénin, Camille Focant, Sylvie Germain, Vives femmes de la Bible, Lessius (coll. « Le livre et le rouleau », n° 29), 2007 ; Anne Soupa, Douze femmes dans la vie de Jésus, Paris, Salvator, 2014, ou encore, plus anciennement, le beau texte de France Quéré, Les femmes de l’Evangile, Seuil, 1982. [24] Voir, témoin de ce travail, Denis Fricker, Quand Jésus parle au masculin-féminin. Etude contextuelle et exégétique d’une forme littéraire originale, Paris, Gabalda, 2004, qui inscrit sa recherche dans le contexte des travaux de Ben Witherington, Women in the Ministery of Jesus, de Helga Melzer-Keller, Jesus und die Frauen ou encore d’Elisabeth Schüssler-Fiorenza, « En mémoire d’elle », 1983, Paris, Cerf (coll. « Cogitatio fidei »), 1986. [25] Michel Gourgues, Ni homme, ni femme, L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme, Evolutions et régressions, Paris, Cerf (coll. « Lire la Bible »), mai 2013. [26] Cf. Anne-Marie Pelletier, Le christianisme et les femmes, Vingt siècles d’histoire, Paris, Cerf, 2001. [27] « Si toute l’Eglise est sacrement, si toute l’Eglise est apostolique, alors toute l’Eglise est aussi ministérielle » écrit Bernard Sesboüe, Pour une théologie œcuménique, Paris, Cerf, p. 339, renvoyant à Tous responsables dans l’Eglise ? Le ministère presbytéral dans l’Eglise tout entière « ministérielle », Assemblée plénière de l’épiscopat français, Lourdes, 1973, p. 16. [28] Bernard Sesboüe, ibid., p. 340 sq. [29] Voir les analyses de Dietrich Bonhoeffer sur « l’appartenance au monde » (Weltlichkeit), dans La nature de l’Eglise, Genève, Labor et Fides, p. 92 « … comme Jésus, l’Eglise est devenue le monde (…). Cela signifie qu’elle est asservie à toute la faiblesse et à toute la souffrance du monde ». [30] Thérèse de Lisieux, Manuscrit C 34 r°, Œuvres complètes, Paris, Cerf-DDB, 1992, p. 282. [31] Henri de Lubac, Méditation sur l’Eglise, Paris, Cerf, 1985, p. 115. [32] Sur une théologie maximaliste du sacerdoce ministériel, voir Gérard Defois, Le pouvoir et la grâce, Le prêtre du concile de Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 2013, chapitre II. [33] Nous nous appuyons dans la partie présente sur l’analyse de Gustave Martelet, Théologie du sacerdoce, Deux mille ans d’Eglise en question, Tome 3, Paris, Cerf, 1990, chapitres XVI et XVII. Sur la question du décentrement, en lien avec le décentrement même du Christ, voir spécialement p. 305. [34] Gustave Martelet, op. cit., p. 318. [35] Sur la dimension de fraternité du ministère presbytéral, notre intervention « Le ministère du prêtre vu depuis le sacerdoce “commun” », dans Prêtres dans le mystère de l’Eglise, Séminaire français de Rome, colloque 2012, Paris, Lethielleux, 2012, p. 177-194. [36] « Pris du milieu des hommes et établis en faveur des hommes, dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés, les prêtres vivent avec les autres hommes comme des frères » (P. O. § 3) ou encore, dans une ecclésiologie explicitement intégrale : « Au milieu de tous les baptisés, les prêtres sont des frères parmi leurs frères, membres de l’unique corps du Christ dont la construction a été confiée à tous » (§ 9). [37] Cf. Christian de Chergé, Retraite sur le Cantique des cantiques, présentée par Christian Salenson, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2013, p. 148. Mais aussi, sur cette question majeure de la fraternité dans la littérature théologique depuis plusieurs décennies, voir Hans-Urs von Balthasar, « Le sacrement du frère », dans Dieu et l’homme d’aujourd’hui, Foi vivante, 1966. En lien direct avec l’exercice du sacerdoce ministériel, Karl Rahner, Existence presbytérale, Contribution à la théologie du ministère dans l’Eglise, Œuvres 20, Paris, Cerf, 2011. [38] Joseph Ratzinger, Frères dans le Christ, 1962, Paris, Cerf, 2005, p. 74. [39] Marie de la Trinité, Filiation et sacerdoce des chrétiens, textes rassemblés par Antonin Motte, o.p. et Christiane Sanson o.p., Paris/Namur, Lethielleux, 1986. En citant celle-ci, disons toute notre gratitude au père E. de Clermont-Tonnerre qui nous a alertée sur son œuvre, en particulier à travers sa conférence « Le sacerdoce des baptisés : une réalité oubliée ? De Tertullien à Yves Congar, Marie de la Trinité et Vatican II », pro manuscripto, Strasbourg-Mulhouse, 28-29 novembre 2011. [40] Nous reprenons ces citations de Marie de la Trinité, op. cit. [41] Voir récemment sur le sujet le pape François dans Evangelii gaudium, § 104. [42] J. Ratzinger, op. cit., p. 78. [43] Marie de la Trinité, de nouveau, Carnets II, Revêtir le sacerdoce, Paris, Cerf, 2011, p. 401.