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Rendre sa véritable ampleur à la réflexion anthropologique dans l’Eglise
Entretien dans LE MONDE, publié le 3 décembre 2017 | Propos recueillis par Cécile Chambraud
Qu’attendez-vous de l’Académie ?
AMP: Certainement une revitalisation de la parole de l’Eglise sur des problèmes de société qui deviennent de plus en plus radicaux et pressants. Et, à partir de là, une contribution authentique des chrétiens au travail de lucidité et d’évaluation critique, qui mobilise nos sociétés là où sont en jeu nos raisons de vivre, la défense de notre humanité, notre confiance dans l’avenir. Pour cela, il s’agit de rendre sa véritable ampleur à la réflexion anthropologique dans l’Eglise. Il est banal de constater que sa parole est devenue quasiment inaudible, repliée qu’elle est sur l’énoncé de quelques stéréotypes en forme d’interdits, essentiellement concentrée sur des préoccupations qui concernent la morale sexuelle, l’avortement ou encore la réfutation des théories du gender. Une restriction dommageable, car elle laisse hors champ toutes les autres réalités, qui font le quotidien des sociétés et des individus, où se joue aussi l’identité des humains, la dignité de leur vie et leur avenir.
Comment ce nouveau départ s’insère-t-il dans le pontificat du pape François ?
AMP: Il est urgent que passe dans la réflexion et le discours de l’Eglise catholique quelque chose de l’audace, de la liberté et de la générosité intellectuelle et spirituelle que prêche le pape François. De sa manière aussi d’inscrire les problèmes anthropologiques dans une problématique élargie d’écologie générale. Non pour brader la foi, comme prétendent ses contradicteurs, mais pour la rendre à sa vérité évangélique. Son attention à la vie concrètement vécue, dans la diversité des situations et des cultures, dans ses réussites comme dans ses états d’épreuve, d’échec ou de vulnérabilité, devrait être inspirante pour l’Académie. « Sortir », ce maître mot de François, devrait être une préoccupation structurante de son travail. Sortir de l’enclos de cercles repliés sur eux-mêmes, sortir d’un discours de vérité sourcilleux et méfiant, qui récuse toute confrontation à l’autre, sortir pour nouer des échanges et des dialogues avec des interlocuteurs qui ne sont pas du sérail. Le fait que l’Académie soit désormais ouverte à des acteurs ou des chercheurs à distance de l’Eglise témoigne de ce souci. L’Académie pourrait par exemple approfondir le sens de la vie humaine en tant que celle-ci se fonde et se nourrit d’expériences de différence. Au-delà de la différence des sexes, sur laquelle l’Eglise s’est beaucoup investie, il est bien d’autres différences qui doivent être reconnues, pensées, gérées. La tradition biblique est porteuse d’une pensée forte sur cette réalité comme principe de la rencontre et énergie de la vie. Dans des sociétés contemporaines fortement tentées par le repli sur soi, l’Eglise, par une réflexion anthropologique précisément, pourrait avoir une mission déterminante. Et, ô combien salubre, si l’on songe que des sociétés font aujourd’hui du rejet de l’autre le principe d’une sauvegarde de leur identité chrétienne.
Que souhaitez-vous lui apporter ?
Je suis présente dans cette Académie en qualité de bibliste. Il n’est évidemment pas indu que les Ecritures, qui sont le centre de gravité de la foi, aient leur inscription dans une Académie pontificale. Le pape l’a souligné dans son discours d’ouverture, rappelant que celles-ci doivent être maîtresse de jugement et de vérité. Encore faut-il que la Bible ne soit pas abordée comme une écriture sacrée qui fixerait dans le marbre une anthropologie intemporelle, requérant ceux qui la lisent pour de nouvelles croisades. En revanche, il y a tout à gagner à la lire pour ce qu’elle est, un formidable laboratoire pour penser l’humanité dans toute la complexité de la vie, avec ses ombres et lumières, insérée dans des cultures changeantes, mais où les problèmes de fond restent étonnamment les mêmes.